Au Cameroun, l’instruction se poursuit pour découvrir la vérité sur l’assassinat du journaliste Martinez Zogo. Nous dévoilons le contenu du volumineux rapport d’enquête qui a conduit à l’inculpation de Danwe, Amougou Belinga et Eko Eko.
Ce sont des milliers de pages qui racontent dans le détail les événements ayant conduit à l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, enlevé le 17 janvier 2023 et retrouvé mort cinq jours plus tard. Ce volumineux rapport a été produit en trois exemplaires. Le premier est conservé au ministère délégué à la Défense, le deuxième au secrétariat d’État auprès du Ministère de la Défense nationale chargé de la gendarmerie (SED), et le troisième – celui auquel les parties prenantes dans l’affaire ont eu accès et à partir duquel le juge Sikati Kamwo mène son instruction – au Tribunal militaire de Yaoundé.
Il s’agit d’un recueil des procès-verbaux des auditions menées par la gendarmerie puis par la commission d’enquête mixte mise en place par le président de la république du Cameroun Paul Biya. Une flopée de pièces jointes ont aussi été versées, contenant potentiellement des secrets touchant à la sécurité de l’État.
Au cœur de ce dossier s’impose un élément central : la série de dépositions du cerveau présumé de l’affaire, le lieutenant-colonel Justin Danwe, dont les témoignages, parfois divergents, éclairent autant qu’ils interrogent.
Danwe, la clé de voûte
Justin Danwe est la première personne à avoir été entendue par les gendarmes. Les enquêteurs sont en effet remontés jusqu’au directeur des opérations de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE) (grâce aux récits des témoins de l’enlèvement du journaliste Martinez Zogo, lesquels ont décrit clairement le type de véhicule dans lequel le commando se trouvait. La description a ensuite été confirmée par les images des caméras de surveillance.
Devant les différents groupes d’enquêteurs qui lui ont présenté ces éléments, Justin Danwe est resté constant quant à son implication dans l’affaire : il confirme avoir planifié l’enlèvement et la torture de Martinez Zogo. C’est lui aussi qui a contacté et enrôlé les huit membres du commando, auxquels il a affirmé qu’il s’agissait « d’une mission de service ordonnée par la hiérarchie ». De ses déclarations, on apprend également que Martinez Zogo était surveillé depuis la fin du mois de novembre 2022.
La filature aurait donc duré un peu plus d’un mois. Ce n’est que lorsque toutes les informations sur « la cible » eurent été recueillies que le commando est passé à l’action. Le récit de Danwe diverge ensuite sur plusieurs éléments. Dans sa première déposition, il affirme que la Prado de couleur noire qui a servi à l’enlèvement était une voiture de son service. Dans une autre, il reconnaît qu’il s’agissait d’une « voiture réformée du parc automobile de la DGRE », « acquise en 2017 » et dont il était devenu le propriétaire.
Versions multiples
Les déclarations de Danwe varient également quant au mobile de son acte. Durant l’enquête préliminaire, il a laissé entendre qu’il avait été mandaté par Jean-Pierre Amougou Belinga, le patron du groupe l’Anecdote. « J’avais besoin qu’il intercède auprès du ministre des Finances pour me faire une avance de solde », a-t-il déclaré.
Il expliquait alors son geste et l’enlèvement meurtrier comme la contrepartie qui lui avait été exigée par l’homme d’affaires. Seulement, à chacune de ses auditions ultérieures devant la commission mixte, Justin Danwe a nié, contrairement à ses premières déclarations, entretenir de quelconques liens avec Jean-Pierre Amougou Belinga.
Autre étrangeté : également interrogé sur l’implication du patron de la DGRE, Léopold Maxime Eko Eko, Danwe a d’abord affirmé que son supérieur « n’a[vait] pas été informé de l’opération ». Mais face à la commission mixte, son propos a, là aussi, évolué. Il a déclaré qu’il aurait en réalité commis cet acte pour « faire plaisir à son patron ».
Il expliquait alors avoir été abordé « à deux reprises en décembre 2022 » par ce dernier, qui se plaignait des agissements de Martinez Zogo. Mais plus tard encore, dans une autre version, Danwe indiquait qu’il s’agissait plutôt de « rentrer dans les bonnes grâces de son supérieur ». Léopold Maxime Eko Eko l’avait en effet suspendu en novembre 2021.