Présenté comme l’un des principaux financiers des séparatistes de l’Ambazonie, l’homme dont Yaoundé a juré la perte a été arrêté aux États-Unis.
Dans l’après-midi du 21 novembre 2018, vers 15 heures 30, des individus non identifiés armés et vêtus de treillis de combat font irruption devant la chapelle de Kembong, agglomération rurale située près de Mamfé, à bord d’un véhicule. Ils ouvrent délibérément le feu à l’aveuglette, tuant le prêtre Cosmas Ondore Oboto, de nationalité kényane et âgé de 33 ans, vicaire de ladite chapelle. Dans un rapport du renseignement que nous avons pu consulter, Joseph Beti Assomo, ministre délégué à la présidence chargé de la Défense affirme que les auteurs de ce crime ont agi sur ordre de l’activiste Eric Tataw Tano, exilé aux États-Unis.
Ce 5 septembre 2023, celui que l’on présente comme l’un des principaux financiers des sécessionnistes anglophones, a été arrêté aux États-Unis. Pour des faits qui n’ont a priori rien à voir avec la guerre qui sévit dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun. Placé en détention provisoire, Eric Tataw Tano doit en effet répondre devant la justice du Maryland d’accusations de détournement de fonds Covid dans le cadre du Paycheck Protection Program (PPP), initié en 2020 par le gouvernement de Donald Trump. Une demande de libération sous caution doit être examinée ce vendredi 8 septembre.
Dans le viseur
Est-ce le début de la chute d’un des hommes les plus recherchés par les services du renseignement du Cameroun ces dernières années ? Bien connu des services spéciaux camerounais, Eric Tataw Tano est aussi dans le viseur de la justice du Cameroun. Le pouvoir camerounais le considère co-responsable de plusieurs attaques à la bombe artisanale à Yaoundé, Douala ou Ebolowa – le séparatiste ayant appelé peu avant les faits en 2020 à multiplier les attaques sur le sol du Cameroun.
Il est en outre visé par un mandat d’arrêt – toujours pour son rôle dans la guerre civile qui touche les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun – et accusé de contribuer au financement du terrorisme. Il figure à ce titre sur une liste de leaders sécessionnistes à mettre hors d’état de nuire, élaborée par la Délégation à la Sûreté nationale dirigé par Martin Mbarga Nguélé dès 2018 et transmise à toutes les missions diplomatiques du Cameroun à l’étranger, y compris aux États-Unis.
Est-ce la raison des récents déboires judiciaires du séparatiste outre-Atlantique ? Si son arrestation du 5 septembre ne semble pas être liée au dossier camerounais, Tataw Tano a vu se multiplier les plaintes déposées contre lui aux États-Unis, notamment par l’avocat d’origine camerounaise Emmanuel Nsahlai, qui se fait volontiers le bras armé du Cameroun devant les tribunaux américains. L’objectif de ce dernier ? Faire condamner Eric Tataw Tano pour sa participation à la guerre des séparatistes ambazoniens.
Train de vie fastueux
Entre novembre et mars 2022, cinq leaders séparatistes ont déjà été condamnés aux États-Unis à des peines allant de 4 à 5 ans de prison et à une amende cumulée d’au moins 30 000 dollars [18 millions de francs CFA]. Ils sont tous inculpés d’exportation illégale d’armes à feu, munitions et équipements militaires destinés aux combattants séparatistes, entre autres. Eric Tataw Tano sera-t-il le suivant, alors que ses comptes risquent d’être passés au crible par la justice américaine ?
En 2019, en collaboration avec le Dr Ikome Sako, un autre leader séparatiste, Eric Tataw Tano avait collecté 500 millions de francs CFA au sein des camerounais de l’extérieur favorable à la sécession ambazonienne. La mauvaise gestion de cet « effort de guerre » sera à l’origine d’une brouille entre les deux hommes, Sako accusant Tataw Tano d’avoir fait de la crise anglophone un objet de business, abandonnant le sens véritable du combat de libération.
Aux États-Unis, Eric Tataw Tano s’est distingué par un train de vie élevé, attirant l’attention du puissant Bureau fédéral d’investigation (FBI), lequel a déclenché des enquêtes pour déterminer les origines de sa fortune. Celle-ci provient elle des fonds « ambazoniens » ? Ou bien d’argent détourné du programme fédéral américain destiné à la lutte contre le Covid ? L’étau judiciaire se ressert en tout cas autour du séparatiste, à la grande satisfaction d’Emmanuel Nsahlai et de Yaoundé.