Alors qu’il peine à livrer les chantiers routiers pourtant annoncés en grande pompe, le ministre des Travaux publics est visé par diverses accusations de corruption ou de détournements de fonds publics. Mais son carnet d’adresses lui a jusqu’ici permis d’éviter la chute.
Au foyer municipal de Mbouda, le samedi 23 septembre 2023, des parlementaires, des chefs traditionnels, des conseillers municipaux et régionaux, des élites du département des Bamboutos (Ouest) sont venus assister à la concertation politique du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), convoquée et présidée par Emmanuel Nganou Djoumessi, ministre des Travaux publics. L’objectif de ce chef de la commission permanente départementale du comité central du parti : mobiliser ses troupes en vue des prochaines échéances électorales et assurer Paul Biya de son plein dévouement.
Alors que l’élection présidentielle de 2025 approche déjà, Emmanuel Nganou Djoumessi tente-t-il, comme tant d’autres pontes du régime, de tirer à lui la couverture de la gratitude du chef de l’État ? Ou poursuit-il un dessein plus personnel : celui d’échapper aux critiques – et aux potentielles poursuites judiciaires – de ceux qui l’accusent de tous les maux et notamment de détournements de fonds publics ? L’un, en réalité, n’empêche pas l’autre.
Le mirage de l’autoroute Yaoundé Douala
Depuis qu’Emmanuel Nganou Djoumessi a été nommé à la faveur d’un décret présidentiel, le 2 octobre 2015, ministre des Travaux publics, sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille. S’il dispose d’influents réseaux à la présidence de la République, il a toujours suscité de nombreuses polémiques, au point que certains de ses adversaires et critiques l’imaginent régulièrement finir à la barre du Tribunal criminel spécial (TCS).
Ancien pensionnaire de l’Enam, ce fils de Bamesso, dans le département des Bamboutos, a engagé ces dernières années de « grands chantiers » à coups de milliards de francs CFA. Seulement, le taux d’achèvement pose problème. Annoncée en grande pompe, l’autoroute, longue de 196 km, qui doit relier les villes de Yaoundé et Douala, en passant par Edéa, a été initiée en 2013. Pourtant, moins d’un tiers de la voierie est aujourd’hui disponible.
La première partie, d’une longueur de 60 kilomètres reliant Yaoundé à Bibodi, a été ouverte à la circulation le 31 décembre 2021, après plus de sept ans de travaux. Mais la phase 2, dont la construction est censée avoir débuté en 2013, n’avance pas. Les études de faisabilité n’ont en réalité été livrées qu’en février 2017 et la voierie qui doit couvrir l’itinéraire Bibodi-Douala sur une longueur de 136 kilomètres n’est toujours pas accessible.
Dans le viseur du TCS
Surtout, ce chantier qui n’en finit pas alimente les soupçons, tandis que la Banque mondiale s’est inquiétée du fait que les travaux coûteraient deux à six fois plus au Cameroun (11 millions de dollars par kilomètre) que dans des pays comme la Côte d’Ivoire (3,5 millions), le Maroc (3 millions) ou le Sénégal. Bien que le ministre se soit défendu en invoquant le coût élevé des indemnisations versées aux populations déplacées ou celui des aménagements sociaux nécessaires, une question a continué de se poser : le prix exorbitant – et les dépassements budgétaires observés au fil des années – sont-ils imputable à un mécanisme de corruption au sein du ministère des Travaux publics ?
L’affaire est même remontée jusqu’au redouté TCS. En janvier 2021, le ministre est ainsi convoqué devant ce tribunal pour s’expliquer au sujet des retards et de la facturation du chantier de l’autoroute en cours. Une enquête est ouverte par le Contrôle supérieur de l’État (Consupe), lequel effectue une mission de contrôle des marchés exécutés par le ministre et remet son rapport au président de la République. Dans les cercles politiques de Yaoundé, on voit Emmanuel Nganou Djoumessi comme une prochaine victime de l’opération anticorruption Épervier, qui a déjà à son compteur nombre de ministres.
Déjà entendu dans le cadre d’une enquête sur les chantiers de la Coupe d’Afrique des nations en 2019, le ministre échappe cependant cette fois encore à la chute. Il n’est toutefois pas épargné par la vindicte populaire, en particulier sur les réseaux sociaux, où les internautes ne se privent pas de publier les photos et vidéos de routes délabrées ou de tronçons boueux et non bitumés. Emmanuel Nganou Djoumessi est même régulièrement tenu pour responsable des morts – innombrables – dues aux accidents de la route à travers le pays. En septembre, ce sont les riverains de la route Ebolowa-Akom II-Kribi qui ont encore demandé sa démission dans une lettre à Paul Biya, dénonçant « l’impéritie » du ministre, incapacité à exercer sa fonction.
« Où sont les routes ? »
Toujours au mois de septembre – et alors qu’il annonçait la « mise en fonctionnement imminente des premiers postes de péage automatique » au Cameroun, ses détracteurs ne se sont pas privés de s’interroger une nouvelle fois : « Voici le péage, mais où sont les routes ? » pouvait on notamment lire sur les réseaux sociaux. Habitué à être la cible de la vindicte camerounaise, Emmanuel Nganou Djoumessi n’en a visiblement cure. Passé maître dans l’art de répondre aux accusations, il explique les retards en pointant du doigt des changements climatiques ou des entreprises de travaux publics jugées trop peu impliquées dans les chantiers.
L’objectif : maintenir sa position dans le sérail de Yaoundé et conserver le poste – exposé mais stratégique – qu’il occupe depuis déjà huit ans. Annoncé sortant du gouvernement à l’occasion de plusieurs rumeurs de remaniement ces dernières années, Emmanuel Nganou Djoumessi y est pour le moment parvenu, en utilisant un carnet d’adresses étoffé au fil de ses fonctions de préfet ou de ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat de 2011 à 2015) et grâce à son amitié passée avec le défunt directeur du cabinet civil du présidant Paul Biya, Martin Belinga Eboutou – lequel l’avait fait nommer au gouvernement.
Signe de son assise politique, il faisait encore partie de la délégation menée par le président Paul Biya lors du dernier sommet Russie Afrique, à Saint-Pétersbourg, en juillet dernier. À ses côtés figurait alors un certain Ferdinand Ngoh Ngoh, dont le ministre est proche. Un autre atout de taille : l’influence du tout-puissant secrétaire général de la présidence est incontestable à Yaoundé, même si lui aussi se retrouve régulièrement sous le feu des critiques et accusé de tous les maux. De quoi faire d’Emmanuel Nganou Djoumessi – et quel que soit l’état des routes camerounaises – un intouchable ?