Régulièrement annoncé sur la sellette, le ministre de la Justice, fidèle parmi les fidèles du président Paul Biya, se maintient en poste. Voici ceux qui composent son cercle d’influence.
On avait parié sur sa chute, inéluctable, disait on. Le sordide assassinat de Martinez Zogo aurait raison de lui. Ministre d’État, numéro deux du gouvernement, le garde des Sceaux avait été cité par le lieutenant-colonel Justin Danwe, le chef du commando présumé responsable du kidnapping, puis de l’exécution du journaliste. Presque une année est passé depuis la découverte du corps de ce dernier, le 22 janvier 2023, et le ministre de la Justice n’a toujours pas été entendu par les juges.
Si nul ne sait si ce magistrat fidèle de la première heure du président Paul Biya s’est définitivement éloigné du bord du précipice, force est de constater qu’il vaque normalement à ses occupations et l’opinion semble s’en accommoder. Si, dans un premier temps, son silence avait provoqué quelques remous chez les professionnels de la justice, conduisant Me Hippolyte Meli Tiakouang, figure du barreau, à l’interpeler dans une lettre ouverte, le malaise suscité par l’affaire s’est dissipé. Probablement parce que le ministre a maintenu ses apparitions et ses prises de parole. À en croire nombre d’observateurs, le véritable malaise est ailleurs. Il se fonde sur l’espèce de torpeur dans laquelle l’institution de la justice sombre depuis quelques années.
Le dernier Conseil supérieur de la magistrature s’est en effet tenu le 10 août 2020. Trois promotions de jeunes magistrats attendent leur intégration, une quatrième entame bientôt son stage de fin d’études. Depuis trois ans donc, pas d’intégration pour les jeunes lauréats, ni d’avancement pour les plus anciens, encore moins une présentation devant ledit conseil des magistrats à qui on reproche des manquements. Un comble pour un corps qui doit s’oxygéner régulièrement.
Gaston Kenfack Douajni
Il est très peu connu des Camerounais, mais, ne lui en déplaise, ce magistrat passé par la Sorbonne et Harvard est l’éminence grise de la justice. Personnalité réservée et effacée, il est fort apprécié de Laurent Esso dont il est l’un des collaborateurs les plus anciens et les plus fidèles.
Les deux hommes ont toujours cheminé ensemble : une première fois entre 1996 et 2000, puis une seconde, à partir de 2011. À la tête de la direction de la législation – la plus importante du ministère de la Justice –, il est, d’une certaine manière, le conseil juridique du gouvernement. C’est par lui que transitent les projets de lois avant d’être présentés à l’Assemblée, quel que soit le département ministériel qui les porte. Minutieux, pointilleux, l’homme soigne ses dossiers autant que sa mise – svelte, il n’aurait pas pris un gramme en plus de trois décennies.
Surnommé par ses pairs « le pape de l’Ohada », il a laissé sa griffe sur le tout dernier Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. C’est grâce au soutien de Laurent Esso que Gaston Kenfack Douajni a pu décrocher la présidence de la 49e session de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international.
Jean Claude Robert Foe
Il a appris à nager dans les eaux incertaines de la justice camerounaise. Procureur général auprès de la cour d’appel du Centre, à Yaoundé, sous le regretté Amadou Ali – une expérience peu reluisante : il avait été démis de ses fonctions –, il a su rebondir et œuvre désormais comme procureur auprès de la cour d’appel du Littoral après une légère traversée du désert.
Connu également pour avoir ordonné la mise en détention de l’entrepreneuse Rebecca Enonchong pour « outrage à magistrat », Jean-Claude Robert Foe est une personnalité clivante. Bien plus, dans tous les cas, que son alter ego à Yaoundé, Jean Fils Ntamack, procureur général auprès de la cour d’appel du Centre –aussi stratégique que celle du Littoral. Ce dernier est aux côtés de Laurent Esso lors de presque toutes ses apparitions publiques et, parfois, privées.
Emmanuel Arroye Betou
Passer de la présidence de la cour d’appel du Centre à celle de la cour d’appel du Littoral, deux juridictions hautement stratégiques, n’a rien d’anodin. L’ empereur Emmanuel Arroye Betou – surnom qui tient à sa mainmise sur tous les dossiers – jouit certainement de la confiance de la chancellerie et se révèle être un manœuvrier, qui vogue lui aussi dans les eaux de la justice camerounaise en toute circonstance.
Fils spirituel de Foumane Akame, le défunt secrétaire du Conseil supérieur de la magistrature et conseiller juridique du président Paul Biya pendant plus de trois décennies, Emmanuel Arroye Betou a une voix qui porte auprès de l’actuel garde des Sceaux. Véritable terreur des avocats, il a de nombreux détracteurs, y compris au sein de la magistrature, ses collègues lui reprochant d’avoir à cœur ses seuls intérêts et le disant prêt à trahir pour les préserver.
Rosalie Marie Rose Mbarga
De l’avis général, c’est elle qui tient la maison justice au Cameroun. Ex sous-directrice des personnels judiciaires, l’actuelle inspectrice générale des services judiciaires n’ignore rien des dossiers personnels des magistrats dans leur ensemble, lesquels, pour la plupart, la redoutent, mais reconnaissent sa probité.
Pour nombre d’entre eux, elle se place aisément au-dessus de la mêlée, loin des intrigues, des manigances et autres combines, ce qui vaut à cette magistrate hors grade, formée en partie en France, l’affectueux surnom de « la Blanche ». Laurent Esso lui fait confiance pour prendre en charge la discipline de ses pairs et faire bouger les lignes. De nombreux dossiers attendent la convocation du Conseil supérieur de la magistrature.
Philippe René Nsoa
Magistrat hors hiérarchie 1er groupe, Philippe René Nsoa dirige la division de la magistrature et des greffes de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), qu’il se plaît à présenter, à l’occasion de ses prises de parole publiques, comme « la pépinière de la justice camerounaise », reprenant une expression chère au garde des Sceaux.
Pour se voir confier une telle mission, il aura fallu montrer patte blanche. Cette division, stratégique, fait figure de cordon ombilical entre l’Enam et le ministère de la Justice, la formation s’organisant en partenariat avec la chancellerie.
Jean-Pierre Amougou Belinga
Beaucoup le considèrent comme la « créature » de Laurent Esso. L’homme d’affaires est au minimum le caillou dans la chaussure du garde des Sceaux. Bien que Jean-Pierre Amougou Belinga soit en prison, soupçonné d’avoir commandité l’enlèvement puis l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, le ministre de la Justice n’a toujours pas désavoué ce très proche, du moins publiquement.
Pas plus qu’il ne l’avait repris quand le patron du groupe de presse se vantait de pouvoir faire et défaire à l’envi les carrières au sein de la magistrature. Les deux hommes entretiennent incontestablement des liens particuliers.
Gaby Kondo
Fumeur de cigares et grand amoureux des belles voitures – il organise une fête grandiose dans sa résidence du quartier Akwa à chaque nouvelle acquisition –, ce jet-setteur est considéré comme l’homme des missions délicates du ministre de la Justice dont il entretient, notamment, le fief politique à Douala. Spécialiste de l’emballage industriel, le sexagénaire est plutôt nanti, mais ses détracteurs assurent qu’il est malgré tout en quête de reconnaissance sociale.
C’est ce qui, d’après eux, expliquerait parfois ses méthodes jugées brutales. Ainsi, pour n’avoir pas libéré assez rapidement à son goût un appartement qu’elle occupait dans un immeuble dont il venait de faire l’acquisition, une locataire a failli être emmurée. Gaby Kondo avait entrepris d’ériger un mur à la place de la porte d’entrée alors qu’elle se trouvait à l’intérieur.
Exubérant par bien des côtés – il ne fait pourtant pas étalage de sa proximité avec le garde des Sceaux –, il est à l’opposé de cet autre « fils » du garde des Sceaux, Abraham Tchoumi, discret opérateur économique qui ne paie de mine, toujours en bras de chemise et chaussé de babouches.
Paul Éric Djomgoué
Député du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) du Mfoundi lors de l’élection présidentielle de 2018, ce fin politique originaire de Banka (ouest) est l’un des plus fidèles alliés de Laurent Esso au sein du parti au pouvoir.
Une longue amitié lie les deux hommes. Quand ce chef d’entreprise dans le bâtiment et les travaux publics a été accusé de tribalisme au sein du parti, le ministre n’a pas hésité à voler à son secours.
Simon Bolivar Njami-Nwandi
Pasteur, ancien enseignant à l’université de Strasbourg et ex secrétaire d’État à la santé, ce commissaire assermenté de la Commission nationale anticorruption du Cameroun (Conac), est décrit comme une grande gueule, plutôt austère.
Militant de l’Union des populations du Cameroun (UPC) passé par les geôles de l’ancien président Ahmadou Ahidjo, il s’est mû en soutien de Paul Biya en co-signant l’acte de l’alliance UPC-RDPC en 1992, et s’est très vite lié d’amitié avec Laurent Esso. Il est le père de Simon Njami, essayiste, critique d’art, commissaire d’exposition et cofondateur du magazine Revue noire.
Maurice Bertrand Kouoh Eyoum
C’est chez Maurice Bertrand Kouoh Eyoum, consul de Norvège, que le garde des Sceaux aime à déguster du ndolé aux crevettes, son plat préféré, le week-end. Si leur appartenance à la communauté Sawa a contribué à rapprocher ces deux personnalités, la politique a renforcé leurs liens.
Financiers importants de leur communauté, ils s’affirment comme des personnalités de premier plan du parti dans la région du Littoral. Maurice Bertrand Kouoh Eyoum est l’un des principaux responsables de la communauté Déido de Yaoundé.
Jean Ernest Massena Ngalle Bibehe
Favorisée par leur appartenance commune au RDPC, l’amitié entre Laurent Esso et Jean Ernest Massena Ngalle Bibehe date d’avant l’entrée de ce dernier au gouvernement en qualité de ministre des Transports. Au fil du temps, l’un des militants les plus assidus du parti au pouvoir est aussi devenu l’un des maillons forts du système Biya dans la région du Littoral.
Le 26 février 2023, à la Maison de parti de Bonanjo à Douala, la capitale économique, c’est accompagné de Ngalle Bibehe, par ailleurs membre du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam) et président du Comité économique et social du canton Adié (Cesca), à Edéa, que Laurent Esso, chef de la délégation permanente régionale du RDPC pour le Littoral, avait donné le coup d’envoi de la campagne pour les sénatoriales. Le ministre avait également invité, entre autres personnalités, Mouelle Kombi et Lejeune Mbella Mbella.