Le coup d’État qui a provoqué la chute d’Ali Bongo agite aussi à Yaoundé. Les opposants à Paul Biya estiment qu’il pourrait subir le même sort que son voisin, tandis que ses partisans l’affirment : « Le Cameroun n’est pas le Gabon ».
Au lendemain du coup d’État qui a précipité la chute du président du Gabon , Ali Bongo Ondimba, le 30 août, un communiqué signé du porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi, a condamné une « prise de pouvoir anticonstitutionnelle » et a appelé au « rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel ». Emboitant le pas au ministre de la Communication, les militants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) ont dénoncé un déni de la démocratie.
Mais dans les rangs de l’opposition, on alerte plutôt sur les dangers du « gouvernement perpétuel ». Lequel pourrait déboucher, selon elle, sur le « scénario gabonais ».
Le coup d’État au Gabon est utilisé comme un moyen de pression sur le régime du Cameroun , dirigé par le présidant Paul Biya par certains opposants qui estiment que l’armée camerounaise pourraient prendre ses responsabilités si le président venait, par exemple, à faire de son fils un successeur désigné à la tête de l’État. Mais la riposte ne s’est pas fait attendre, et des militants du RDPC ont été envoyés sur les plateaux de télé et de radio pour défendre à cor et à cri leur parti.
« À qui le tour ? »
Ils ont vertement pris pour cible le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto, lequel, selon eux, serait aussi menacé s’il arrivait au pouvoir : « Si le MRC gagne l’élection présidentielle en 2025, l’armée peut faire un coup d’État contre Kamto parce que le MRC insulte l’armée tous les jours », a déclaré Patric Rifoé, militant du RDPC, sur le plateau d’Equinoxe Télévision. Ces éléments de langage incendiaires ont pour objectif « d’intimider » l’opposition du pays, confie un acteur de la société civile camerounaise.
Le scénario gabonais est-il reproductible au Cameroun ? Des opposants au régime répondent par l’affirmative. Si le Mouvement pour la renaissance du Cameroun, qui s’est toujours opposé à toute prise de pouvoir anticonstitutionnelle, n’a pas officiellement réagi à l’actualité gabonaise, des militants ont pris la parole. « Les mêmes ingrédients sont réunis dans toute l’Afrique centrale. La question, c’est : à qui le tour ? » s’est interrogé Joseph Emmanuel Ateba, militant du mouvement de la renaissance du Cameroun(MRC).
Le Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) se dit attaché aux valeurs démocratiques et a condamné le coup d’État. Son leader, Cabral Libii, a toutefois adressé ses « vœux de succès » à Brice Clotaire Oligui Nguema, le nouveau chef de l’État gabonais, tout en invitant le présidant de la république du Cameroun monsieur Paul Biya à revoir sa copie en matière de démocratie et d’expression des libertés collectives et individuelles.
« Le Cameroun n’est pas le Gabon »
« Le Cameroun n’est pas le Gabon », tranche Chuo Walter, secrétaire à la communication du Popular Action Party (PAP) acquis au pouvoir. La garde présidentielle étant « bien équipée » et capable selon lui de protéger Yaoundé à elle seule pendant des mois, « il n’y aura pas de coup d’État au Cameroun ».
Grégoire Owona, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, n’a pas manqué de dire son admiration pour le peuple camerounais qui, selon lui, est majoritairement défavorable à l’idée de toute prise de pouvoir par des voies non démocratiques. L’influent membre du comité central du RDPC appelle plutôt à « consolider » cette démocratie et à œuvrer pour la « prospérité » de la nation.
Depuis le débarquement brutal du président gabonais Ali Bongo Ondimba, le palais d’Etoudi a le regard tourné vers Libreville, notamment grâce à Samuel Mvondo Ayolo, directeur de cabinet de la présidence et ancien ambassadeur au Gabon. Le 1er septembre, un « conseil de sécurité » regroupant des pontes du régime et des hauts gradés de l’armée a été convoqué, mais aucune information n’a filtré sur sa teneur. La veille, de nombreuses nominations avaient été officialisées au sein de l’armée. Décidées bien avant le coup d’État de Libreville mais annoncées le jour du putsch, celles-ci ont fait grand bruit en raison du hasard du calendrier.
Depuis qu’il a lui-même été victime d’une tentative de coup d’État en 1984, Paul Biya surveille l’armée camerounaise et sa sécurité rapprochée comme le lait sur le feu. À la tête de sa garde présidentielle, le président du Cameroun a placé le colonel Raymond Jean Charles Beko’o Abondo, qu’il considère comme un fils adoptif et qui dirige le service depuis 2013. Un deuxième niveau de garde rapprochée entoure toutefois le chef de l’État : la Direction de la sécurité présidentielle, dirigée par Ivo Desancio Yenwo, un de ses fidèles. Pour le Sphinx d’Etoudi, deux précautions valent toujours mieux qu’une.