Aux Pays-Bas, Geert Wilders et son parti d’extrême droite sont arrivés en tête des élections législatives, remportant 35 sièges, portés par un discours anti-immigration. Pour le politologue Gilles Ivaldi, spécialiste de l’extrême droite et des populismes européens, ce résultat électoral symbolise un phénomène d’ampleur sur tout le continent.
Qui est Geert Wilders, qui vient de remporter les élections législatives aux Pays-Bas ?
Cela fait une vingtaine d’années qu’il a émergé. Il vient du parti libéral du Premier ministre sortant, Mark Rutte. C’est un personnage qui peut paraître un peu atypique, avec ses cheveux et son côté hurluberlu, mais il est très ancré dans la vie politique néerlandaise. Il a fait toute sa carrière sur le thème de l’immigration et de l’Islam. Il a vraiment amené à la politique néerlandaise des positions très radicales sur l’Islam, avec des propositions d’interdiction du Coran, de fermetures de mosquées ou encore d’interdiction du port du voile, ainsi que des propos très extrémistes. Il a aussi été plusieurs fois condamné en justice, notamment pour avoir comparé le Coran à Mein Kampf, d’Adolf Hitler, et pour avoir tenu des propos racistes sur les Marocains. C’est un électron libre. Son parti, le Parti pour la Liberté (PVV), est presque une coquille vide, sans militant, sans membre. Lui existe à travers les élections, notamment les élections nationales. C’est quelqu’un qui représente aux Pays-Bas l’extrême droite telle qu’on la connaît chez nous sur les questions d’immigration et d’Europe.
Va-t-il pouvoir gouverner, trouver des alliés pour former une coalition ?
Pour l’instant on n’a pas trop d’éléments, mais on sait deux choses. D’abord, il y a des nouveaux partis qui ont émergé récemment, notamment le parti populiste et agrarien – le Mouvement agriculteur – citoyen (en néerlandais : BoerBurgerBeweging, abrégé BBB), qui a émergé l’année dernière dans les élections locales, ainsi que le Nouveau contrat social (en néerlandais : Nieuw Sociaal Contract, abrégé en NSC). Ces deux partis sont des alliés potentiels pour Wilders. Ensuite, pendant longtemps le PVV de Wilders a été maintenu à distance du pouvoir, il était presque infréquentable. Aujourd’hui, il est plus central dans la vie politique néerlandaise, et pour la première fois, même les libéraux du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) n’ont pas totalement exclu la possibilité d’une alliance.
Pour l’instant il est un petit peu tôt pour discerner ce qui va se mettre en place, mais ce qui est intéressant c’est que Geert Wilders est en position de force pour négocier : les autres partis sont loin derrière et ne peuvent pas contester son leadership.
Toute la difficulté pour Geert Wilders va être d’arrondir les angles sur ses idées. Il a déjà fait le travail, notamment sur l’islam, où il a mis en sourdine ses mesures les plus controversées et les plus polémiques. L’enjeu est d’être capable d’offrir une alternative crédible. Car le problème de Geert Wilders, c’est que c’est un agitateur, un tribun, un populiste un peu comme Jean-Marie Le Pen à l’époque, qui manipule bien les idées, qui sait électriser les foules, mais qui, par contre, n’a pas une grande crédibilité gouvernementale. Il n’a pas forcément autour de lui des experts capables de constituer une équipe. Voilà ses deux difficultés pour gouverner : asseoir sa crédibilité et trouver des partenariats pérennes.
On dit que c’est un séisme et un choc politique. Mais était ce prévisible ?
Les deux partis populistes qui ont récemment émergé, le BBB, qui a fait un très gros score aux élections locales l’année dernière et le NSC, qui a été présenté comme un potentiel leader aux élections, ont focalisé l’attention des observateurs. Jusqu’à 3 ou 4 jours du scrutin, le parti de Geert Wilders était sous les radars. Mais il y a eu une poussée de dernière minute. Mais si on décentre un peu l’objectif, on s’aperçoit que cette élection a lieu dans un contexte de progression de l’extrême droite dans toute l’Europe : en France, en Italie, en Allemagne, en Suède, etc. En ce sens, la poussée de Wilders n’est pas surprenante.
Sur l’Europe, qu’est-ce que ces législatives aux Pays-Bas augurent pour les élections européennes de l’année prochaine ?
Geert Wilders participe de quelque chose de plus large que sa simple victoire aux élections. Ce résultat laisse entrevoir un « moment » d’extrême droite aux prochaines élections européennes. Il est probable que ces mouvements gagnent du terrain. Selon les intentions de vote actuelles, et avec toute la prudence que cela requiert, les forces d’extrême droite pourraient obtenir 180 sièges au Parlement européen l’année prochaine, contre 130 aujourd’hui. La question va être de savoir comment ces partis s’organisent et s’allient entre eux.
Justement, Marine Le Pen a salué la victoire de Geert Wilders. Sont-ils vraiment proches, ou existe-t-il des divergences entre eux ?
Alors, entre Wilders et Le Pen, il y a très peu de différences : ils sont alliés depuis longtemps. Wilders fait partie du groupe « Identité et Démocratie » de Marine Le Pen, comme l’italien Matteo Salvini. Leurs visions sont assez proches. Mais au-delà, en Europe, il y a deux grands groupes : Identité et Démocratie, qui est conduit par Marine Le Pen, Matteo Salvini, l’AFD en Allemagne, etc. C’est le groupe le plus eurosceptique, le plus à l’extrême droite. Et puis, vous avez un autre groupe de mouvement d’extrême droite, qui est le groupe des conservateurs réformistes européens, aujourd’hui dominé par Giorgia Meloni et par les Polonais de Droit et Justice (PiS). Ce groupe rassemble des partis qui se veulent plus présentables, ce sont des partis au pouvoir, ou qui ont été au pouvoir, et qui, globalement, cherchent l’alliance avec la droite classique.
Par ailleurs, la grande ligne de fracture est géopolitique : c’est la question de la Russie. Parce qu’autour de Marine Le Pen, la plupart des partis sont proches de Moscou, même s’ils ont beaucoup édulcoré leurs propos. Au contraire, Giorgia Meloni est beaucoup plus atlantiste, tout comme les Polonais qui évidemment ne veulent pas entendre parler de la Russie. Là-dessus, Wilders se situe du côté de Marine Le Pen. Pendant très longtemps, il était plutôt sur l’idée de sortir de l’Union Européenne, pour revenir à cette vieille idée de l’Europe des nations libres et indépendantes. Mais tout ça est devenu très flou, parce que sur la question de l’Europe, tous ces partis ont pris des positions extrêmement ambiguës pour noyer le poisson.
Et pour l’Union européenne elle-même, quelle peut être la conséquence de compter de plus en plus de dirigeants d’extrême droite ?
Le Conseil européen va voir arriver à sa table de plus en plus de chefs d’État et de gouvernement d’extrême droite. Nécessairement, ils pèseront sur les décisions. La première conséquence, c’est que tous ces gens d’extrême droite, à des degrés divers, sont hostiles à l’Union européenne et au principe fédéral de l’Union européenne. Il y aura donc un affaiblissement de l’Europe. Par ailleurs, ce sont des partis qui sont souvent opposés à certains droits fondamentaux, comme l’avortement, qui être attaqué par ces mouvements. Et puis, dernier grand élément, c’est qu’une présence de l’extrême droite, à la fois au Parlement européen et au Conseil européen, aurait des conséquences sur la politique migratoire et la politique climatique. Parce qu’évidemment, l’extrême droite pèsera de tout son poids pour stopper l’immigration en Europe. Et parce qu’on sait que ces forces d’extrême droite sont soit climatosceptiques, soit très opposées à la transition énergétique. Aujourd’hui, le Green Deal européen, qui a déjà beaucoup de mal à exister, pourrait vraiment être mis en péril.