Depuis le naufrage dans la Manche du 12 août dernier, les critiques se font de plus en plus insistantes à l’encontre du gouvernement britannique et de sa politique migratoire. Les autorités, elles, maintiennent le cap : durcir les frontières et l’accueil pour mettre fin aux traversées.
La « small boats week » devait être l’occasion pour le gouvernement britannique de vanter sa politique contre les traversées de la Manche. Accord avec la Turquie pour « écraser » les passeurs, marché conclu avec les plateformes de réseaux sociaux pour censurer la publicité des traversées, accueil des premiers demandeurs d’asile sur la barge « Bibby Stockholm »… Le gouvernement conservateur britannique avait tout pour mettre en avant l’une de ses priorités, énoncées par Rishi Sunak il y a dix mois au moment de sa prise de position : « la lutte contre les ‘small boats' ».
Mais le naufrage du 12 août 2023 – qui a causé la mort de six Afghans – a mis sur le devant de la scène la dure réalité que peut être la traversée vers les côtes anglaises. Incident le plus meurtrier depuis celui qui a tué 27 personnes en novembre 2021, il a ravivé une vive opposition à la politique migratoire du gouvernement conservateur.
Système d’asile « hostile »
Membre de l’opposition, le parti travailliste a déclaré, après le naufrage, que le Royaume-Uni avait « le devoir moral, à la fois envers nos propres citoyens et les demandeurs d’asile, d’agir ». Bridget Phillipson, ministre du cabinet fantôme, un rassemblement des députés les plus influents de l’opposition, a accusé les ministres de présider un ministère de l’Intérieur qui était « de plus en plus chaotique et complètement incompétent ». Elle a ajouté qu’un « système meilleur et plus juste » était nécessaire pour traiter un arriéré de demandes d’asile « complètement incontrôlable ».
Même son de cloche du côté des ONG. Le Conseil des réfugiés, dans un communiqué, a dénoncé le fait que « le gouvernement se concentre sur l’adoption d’une législation coûteuse et irréalisable et sur la fermeture des voies sûres existantes pour se rendre au Royaume-Uni ». « Il y a une obsession avec l’idée que plus le système d’asile est hostile, plus il dissuadera les gens. Cependant, l’augmentation des niveaux d’hostilité ne fait que rendre le système encore plus dysfonctionnel, inhumain et potentiellement dangereux », précise son directeur, Enver Solomon.
L’association caritative britannique Care4Calais a déclaré que l’incident était une « tragédie épouvantable » mais qu’il était surtout « évitable ».
Plus de 17 000 personnes débarquées en Angleterre
En plus du naufrage, la politique migratoire britannique a été marquée par l’évacuation du Bibby Stockholm pour cause de légionellose, mais aussi par le record journalier de traversées de la Manche, le 10 août, lorsque plus de 700 personnes ont rejoint les côtes anglaises en une seule journée.
Et depuis le naufrage, plus de 1 000 exilés ont débarqué en « small boats » au Royaume-Uni, selon le ministère de l’Intérieur britannique. De manière générale, la hausse des traversées est constante entre la France et le Royaume-Uni depuis le renforcement du dispositif en France, rendant quasiment impossible d’autres méthodes de passage. Ainsi, depuis 2018, plus de 100 000 personnes ont effectué la traversée. Rien que depuis janvier 2023, ce sont plus de 17 000 personnes qui se sont rendues en Angleterre via ce détroit maritime à bord d’embarcations de fortune.
Un sauvetage a d’ailleurs eu lieu dans la Manche par les secours français ce vendredi. Cinquante-neuf personnes ont ainsi été secourues au large de Gravelines et ramenées à Calais.
« Changements radicaux »
Malgré tout, le clan conservateur britannique a martelé toute la semaine son ambition de poursuivre sur la droite ligne fixée par le Premier ministre Rishi Sunak. Ce dernier a estimé qu’il était « juste pour le gouvernement d’agir d’urgence » pour mettre fin à ces arrivées et qu’il était capital de lutter contre les passeurs. Ainsi, il a assuré que Londres travaillait avec la France pour utiliser « tous les leviers possibles » pour empêcher les traversées illégales vers l’Angleterre.
Une stratégie jugée dangereuse par de nombreuses associations, comme Utopia 56 dans un communiqué ce vendredi, qui estiment que les migrants sont poussés à prendre toujours plus de risques face à la « bunkerisation » de la frontière.
Mais c’est dans les rangs des conservateurs que les appels à l’action ont été les plus vifs. L’ancien président du parti et député, Sir Jake Berry, a déclaré que « seuls des changements radicaux peuvent vraiment inverser la tendance ». Ainsi, l’élu appelle même le Royaume-Uni à quitter la Convention européenne des droits de l’Homme, qui, selon lui, continuerait de bloquer « toutes les tentatives d’arrêter les bateaux ».
D’autre part, le ministre conservateur David TC Davies a félicité le gouvernement pour avoir arrêté « beaucoup » de bateaux. Il a également déclaré que la politique controversée d’expulser des demandeurs d’asile vers le Rwanda – aujourd’hui bloquée par la justice – était « une solution ». « Cela limiterait l’incitation à sauter dans des bateaux branlants », a-t-il estimé.
Et concernant les attaques émanant du parti travailliste, un porte-parole du gouvernement a déclaré que le parti « utilisait cyniquement les morts » pour faire valoir des « arguments politiques bon marché ». Alors que le gouvernement, lui, était « déterminé à briser le modèle commercial des gangs de passeurs et à sauver des vies ».
Selon les autorités britanniques, qui ont récemment interdit aux personnes entrées de manière irrégulière dans le pays de demander l’asile, les « vrais réfugiés » doivent passer par les instances mises en place par l’État. Or, selon le Conseil des réfugiés, seuls 54 Afghans – la nationalité de la quasi-totalité des ressortissants de l’embarcation qui a fait naufrage – ont été accueillis sur les 5 000 promis par le programme gouvernemental de réinstallation des citoyens afghans mis en place après la prise de Kaboul par les Taliban.