Le 12 octobre 2025, les Camerounais sont appelés aux urnes pour élire leur président. À Yaoundé comme dans les grandes métropoles du pays, l’air est saturé de rumeurs, de slogans et de promesses. Mais derrière l’effervescence apparente, une réalité s’impose : l’opposition, une fois encore, se présente divisée, tandis que Paul Biya, 92 ans, au pouvoir depuis 1982, s’avance comme le favori d’un scrutin dont beaucoup redoutent qu’il soit verrouillé d’avance.
Les services de renseignement eux-mêmes, selon des indiscrétions rapportées par Jeune Afrique, avaient mis en garde le chef de l’État : une opposition unie aurait pu menacer sérieusement sa réélection. Mais cette hypothèse s’est évaporée. Deux coalitions concurrentes, menées par Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari, se disputent l’espace politique, tandis que d’autres figures choisissent la voie solitaire. Maurice Kamto, leader du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), a refusé de trancher, laissant ses partisans dans l’expectative.
Paul Biya incarne à lui seul la longévité politique africaine. Arrivé au pouvoir en 1982 après la démission d’Ahmadou Ahidjo, il a traversé la guerre froide, les ajustements structurels imposés par le FMI, la libéralisation politique des années 1990, les crises sécuritaires dans l’Extrême-Nord face à Boko Haram, et la guerre civile larvée dans les régions anglophones depuis 2016.
– Un pouvoir hyper-présidentiel : la Constitution de 1996, amendée en 2008, a supprimé la limitation des mandats, ouvrant la voie à une présidence à vie.
– Un parti-État : le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) contrôle l’appareil administratif, les collectivités locales et une large partie des médias publics.
– Un système clientéliste : nominations, marchés publics et redistribution des rentes pétrolières cimentent les loyautés.
Pour beaucoup de Camerounais, Biya est à la fois une figure tutélaire et un symbole d’immobilisme. « Le Cameroun est figé dans le temps », confie un universitaire de Douala. « Les jeunes n’ont connu qu’un seul président. »
L’histoire politique récente du Cameroun est jalonnée de tentatives avortées d’union de l’opposition. En 1992 déjà, l’élection présidentielle avait été marquée par la division entre John Fru Ndi (SDF) et Bello Bouba Maïgari (UNDP), permettant à Biya de l’emporter avec 39 % des voix.
– Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre de la Communication, conduit une coalition hétéroclite, mais son passé de proche du pouvoir suscite la méfiance.
– Bello Bouba Maïgari, vétéran de la scène politique, tente de fédérer autour de son parti historique, l’UNDP, mais son influence reste régionale.
– Maurice Kamto, qui avait incarné l’espoir en 2018 en revendiquant la victoire avant d’être emprisonné, refuse de s’engager pleinement, laissant ses militants désorientés.
– Les « cavaliers seuls » : Cabral Libii, Serge Espoir Matomba et d’autres figures émergentes multiplient les candidatures individuelles, chacune grignotant une part de l’électorat sans parvenir à créer une dynamique nationale.
Un diplomate européen résume : « L’opposition camerounaise est victime de son ego collectif. Chacun rêve d’être président, mais personne n’accepte de se ranger derrière un autre. »
Le Cameroun est un pays de contrastes : francophone à 80 %, anglophone à 20 %, traversé par des clivages ethniques et régionaux. Ces fractures alimentent la fragmentation politique.
– La crise anglophone : depuis 2016, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont en proie à une insurrection séparatiste. Les violences ont fait plus de 6 000 morts et déplacé près d’un million de personnes. Le scrutin d’octobre risque d’y être largement entravé.
– Le Nord musulman : longtemps bastion de l’UNDP, il est aujourd’hui disputé entre plusieurs figures locales, mais reste sous surveillance militaire en raison de la menace djihadiste.
– Les grandes métropoles : Douala et Yaoundé concentrent une jeunesse urbaine connectée, souvent acquise à l’opposition, mais démobilisée par la répression et le manque de perspectives.
La Commission électorale nationale indépendante (ELECAM) est régulièrement accusée de partialité. Ses membres sont nommés par le président, et les observateurs internationaux dénoncent un manque de transparence dans la compilation des résultats.
– Listes électorales incomplètes : des millions de jeunes ne sont pas inscrits.
– Bureaucratie dissuasive : les procédures d’enregistrement sont complexes, surtout dans les zones rurales.
– Résultats contestés : en 2018, Maurice Kamto avait affirmé avoir remporté l’élection, mais la Cour constitutionnelle, composée de proches du pouvoir, avait validé la victoire de Biya avec 71 %.
Un militant du MRC témoigne : « Nous savons que les dés sont pipés. Mais boycotter, c’est laisser le champ libre. Participer, c’est cautionner. Nous sommes pris au piège. »
– Croissance en berne : autour de 3 %, insuffisante pour absorber la croissance démographique.
– Jeunesse désœuvrée : 70 % de la population a moins de 30 ans, mais le chômage et la précarité dominent.
– Corruption endémique : le pays figure régulièrement parmi les plus corrompus selon Transparency International.
– Rentes pétrolières et gazières : elles alimentent le budget de l’État, mais peu de retombées atteignent la population.
Dans les marchés de Douala, les conversations tournent moins autour des coalitions politiques que du prix du riz et de l’huile. « On ne mange pas les discours », lâche une commerçante.
Les partenaires occidentaux observent le scrutin avec un mélange de scepticisme et de résignation.
– La France, alliée historique, maintient un soutien discret au régime, au nom de la stabilité régionale.
– Les États-Unis insistent sur la nécessité de réformes démocratiques, mais leurs pressions restent limitées.
– L’Union africaine et la CEMAC privilégient la non-ingérence.
Un analyste basé à Bruxelles résume : « Le Cameroun est trop stratégique pour être lâché : carrefour entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest, producteur de pétrole, partenaire sécuritaire contre Boko Haram. Mais personne ne se fait d’illusions sur la sincérité du scrutin. »
1. Victoire confortable de Biya : probable, compte tenu du contrôle institutionnel et de la division de l’opposition.
2. Contestations massives : si l’opposition parvient à mobiliser, des manifestations pourraient éclater, mais la répression serait immédiate.
3. Transition imprévue : l’âge avancé de Biya alimente les spéculations sur une succession brutale, qui pourrait ouvrir une lutte de clans au sein du RDPC.
Malgré tout, certains Camerounais gardent foi en une alternance. Des associations citoyennes, des journalistes indépendants et des mouvements de jeunes multiplient les initiatives pour surveiller le scrutin, documenter les fraudes et sensibiliser les électeurs.
« Même si Biya gagne encore, le système s’effrite », estime une militante de Yaoundé. « La jeunesse n’acceptera pas éternellement d’être exclue. »