L’affaire pouvait sembler mal engagée. À la veille de l’audience qui s’est tenue jeudi 30 Mars 2023 devant la 1e chambre correctionnelle du tribunal de Dakar, dans le cadre du procès pour diffamation intenté par le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, à l’opposant emblématique Ousmane Sonko, deux décisions de dernière minute étaient en effet de nature à jeter de l’huile sur un feu déjà vivace.
Mercredi 29 mars, en fin de journée, on apprenait ainsi que Me Ousseynou Fall, l’un des avocats en charge de défendre le président de Pastef-les Patriotes, venait d’être provisoirement suspendu par l’Ordre des avocats, saisi par le magistrat en charge de présider les débats lors de la précédente audience, du 16 mars. Celui-ci s’était plaint de propos jugés inconvenants tenus à son encontre. Puis, au milieu de la nuit, nouvel incident. cette fois, c’est l’avocat français Juan Branco, qui a intégré l’équipe de défenseurs d’Ousmane Sonko, qui se voyait refoulé par la police de l’air et des frontières à son arrivée à l’aéroport international Blaise-Diagne. En cause, manifestement, des tweets récents de l’intéressé jugés offensants envers le président Macky Sall.
En début de matinée, du 30 mars 2023, la question était sur toutes les lèvres : Ousmane Sonko ferait-il le déplacement au tribunal de Dakar ou se contenterait il d’y dépêcher ses avocats afin que ceux-ci justifient son absence en invoquant un certificat médical rédigé au terme de son hospitalisation, au cours des jours suivant la précédente audience ?
Dès 8h30 du jeudi 30 Mars 2023, fidèle à son habitude, le ministre Mame Mbaye Niang est déjà assis dans la salle d’audience, accompagné par ses six avocats. Mais au coin de la rue de la Cité Keur Gorgui, où réside Ousmane Sonko, pas le moindre signe du maire de Ziguinchor, dont l’habitude est pourtant de se rendre aux convocations judiciaires escorté par un cortège de sympathisants.
Alors qu’Ousmane Sonko est toujours terré chez lui, l’audience débute à quelques kilomètres de là. En vain, ses avocats tentent de brandir le certificat médical qui justifierait son absence. Mais, selon Ciré Clédor Ly, l’un des avocats de l’opposant,
« le tribunal a refusé de le prendre et a même refusé que cet acte soit consigné par le greffier ».
Constatant l’absence du prévenu, le président du tribunal – qui a remplacé au pied levé son prédécesseur, lequel s’est déporté in extremis décide d’ouvrir les débats. Il est vrai qu’au vu de l’article 389 du code de procédure pénale, » lorsque le dossier est en état d’être jugé, l’affaire ne peut faire l’objet de plus de trois renvois pour quelque cause que ce soit ». La limite était donc atteinte.
Sans la présence d’Ousmane Sonko, ses avocats se retrouvent réduits au rôle de figurants, ne pouvant participer aux débats ni plaider leur cause. Le collectif des défenseurs de l’opposant déserte alors la salle du Palais de justice pour aller exprimer leur ressentiment face à la haie de micros et de caméras qui se tendent au dehors.
« Ce matin, nous avons assisté à une véritable folie judiciaire, s’indigne Me Ciré Clédor Ly. Ce tribunal a perdu son droit et son latin. »
« Nous sommes tombés de Charybde en Scylla au cours de cette procédure, abonde son confrère Me Khoureychi Ba. Nous avions douté de l’impartialité du juge précédent mais lui, au moins, s’était montré plus à cheval sur les principes : à aucun moment il ne s’était opposé à une demande de suspension d’audience ou de renvoi. »
Cette fois, la logique du tribunal a changé. Il faut dire qu’au cours de ce marathon judiciaire entamé au début de février, chaque convocation d’Ousmane Sonko au tribunal dans le cadre de cette affaire avait donné lieu à un capharnaüm dans la capitale. C’est pourquoi, ce jeudi 30 Mars 2023, de nombreuses entreprises privées ou publiques avaient devancé les événements et fermé leurs portes préventivement.
Les établissement scolaires et l’université Cheikh Anta Diop (Ucad) ont ainsi devancé de 48 heures la date officielle des vacances de Pâques afin de préserver les personnes et les biens de tout débordement. Quant à la société de bus Dakar Dem Dikk, elle avait prudemment averti ses usagers, la veille, qu’aucun véhicule ne circulerait le jour fatidique.
La défense d’Ousmane Sonko ayant déserté le prétoire, la suite des événements est allée vite si on la compare à l’interminable feuilleton des audiences précédentes. Au terme des plaidoiries des avocats de Mame Mbaye Niang, le tribunal a rendu sa décision sans même mettre le jugement en délibéré à une date ultérieure.
Si Ousmane Sonko se retrouve condamné, il échappe malgré tout au scénario que la plupart de ses sympathisants redoutaient : une peine de prison ferme ou une peine avec sursis qui aurait entraîné mécaniquement son inéligibilité, au titre des articles L29 et suivants du code électoral.
« Nous sommes satisfaits pour deux raisons, résume Pierre-Olivier Sur, avocat français venu épauler ses confrères sénégalais défendant Mame Mbaye Niang. D’abord parce qu’il y a une condamnation qui vient rappeler à Ousmane Sonko les limites de la liberté d’opinion. Ensuite parce que cette condamnation à une peine de prison avec sursis reste mesurée dans la mesure où elle ne le prive pas de ses droits civiques et politiques et ne l’exclut pas du débat politique. »
Condamné à deux mois de prison avec sursis et à 200 millions de francs CFA de dommages et intérêts, Ousmane Sonko pourra donc concourir à la présidentielle de février 2024. Pour l’heure, ni l’opposant ni le ministre n’ont fait savoir s’ils comptaient faire appel du jugement.
Malgré leur amertume quant au déroulement à leurs yeux scandaleux de l’audience, les avocats d’Ousmane Sonko n’ont pas commenté outre mesure la condamnation de leur client au sortir du tribunal, se contentant, pour l’un d’eux, d’une formule censée résumer leur état d’esprit : « On n’a rien à craindre de l’avenir quand le présent recèle le pire. »
Et de dénoncer sans hésiter, par la voix de Me Ciré Clédor Ly, l’influence prêtée au camp présidentiel dans la joute qui vient de se dénouer dans un prétoire : « Nous n’étions pas devant un tribunal mais devant un organe sous commandite. »
Si la décision du jeudi 30 Mars offre un répit à Ousmane Sonko, qui échappe à la menace de l’inéligibilité qui pesait sur lui, celui-ci n’en a pas pour autant fini avec la justice.