Depuis le rappel pour consultations de l’ambassadeur du Tchad au Cameroun, le 20 avril, le torchon brûle entre les deux pays voisins. N’Djamena accuse Yaoundé de soutenir une prise de contrôle illégale d’actifs pétroliers sur son territoire par la société britannique Savannah Energy et sa filiale domiciliée aux Bahamas, Savannah Midstream Investment Limited (SMIL).
Celles-ci ont en effet annoncé, en décembre 2022, qu’ExxonMobil avait accepté de leur céder, pour 407 millions d’euros, la totalité des actifs d’Esso Exploration and Production Chad, ainsi qu’une participation dans le pipeline Tchad Cameroun devant acheminer à terme le pétrole brut jusqu’au port camerounais de Kribi. Mais N’Djamena s’oppose à cette transaction.
Les autorités tchadiennes expliquent qu’elles n’ont pas donné leur aval et qu’elles disposent d’un droit de préemption sur les actifs concernés – qu’elles ont par conséquent décidé de nationaliser. Surtout, elles s’opposent à un autre deal, passé ultérieurement entre la société britannique et la Société nationale des hydrocarbures (SNH) du Cameroun.
Le 20 avril, SMIL a en effet rendu public un nouvel accord par lequel la filiale de Savannah Energy cède 10% de ses actifs dans la Cameroon Oil Transportation Company (COTCO, exploitant la partie camerounaise du pipeline Tchad Cameroun) à la SNH pour un montant de 40,95 millions d’euros.
N’Djamena a dès lors accusé des personnalités camerounaises sans les nommer d’être impliquées dans les affaires de Savannah Energy et d’avoir favorisé en sous-main cette entreprise au détriment des intérêts tchadiens et en faveur de la SNH.
Pour tenter de régler le différend, le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno s’est rapproché de son homologue camerounais Paul Biya et celui-ci a envoyé, le 26 avril, son secrétaire général Ferdinand Ngoh Ngoh au Tchad avec pour mission de discuter du dossier. Mais les soupçons n’en sont pas pour autant dissipés et s’orientent vers des proches de la Première dame camerounaise, Chantal Biya.
Selon nos informations, l’affaire, qui a dégénéré en brouille diplomatique ces derniers jours, remonte en réalité à plus d’un an, au début de l’année 2022. Les actifs d’Esso Exploration and Production au Tchad, qui finiront par être cédés à Savannah Energy, intéressaient alors une autre entreprise du secteur : Perenco.
La société franco-britannique s’était même rapprochée d’Adolphe Moudiki, le directeur général de la SNH, pour lui signifier son intérêt. Une lettre a même été envoyée en ce sens à la présidence de la République au début de février 2022. Mais l’affaire est restée sans suite et Perenco, ne parvenant pas à acquérir les actifs d’Esso Exploration and Production, s’est retiré.
« Perenco proposait pourtant à la SNH le même marché que Savannah a mis sur la table plus tard », explique un acteur du dossier. Quelques mois après, Savannah Energy a réussi en revanche là où sa rivale a échoué, en se rapprochant cette fois de Nathalie Moudiki, épouse d’Adolphe Moudiki, et véritable patronne de la SNH.
Selon nos informations, Nathalie Moudiki a donc mobilisé ses réseaux pour favoriser Savannah Energy au Tchad avec, en tête, les intérêts de la SNH. Amie de Chantal Biya, elle dispose d’une influence non négligeable auprès de Samuel Mvondo Ayolo, directeur de cabinet de Paul Biya, mais également auprès de Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence et lui aussi proche de la Première dame.
Ces réseaux ont-ils contribué à pousser Franck Biya, le fils du chef de l’État camerounais, à s’impliquer dans le dossier ? Si ce dernier s’est rendu à N’Djamena en septembre 2022 et a été reçu par Mahamat Idriss Déby Itno, le dossier Savannah Energy n’a pas été évoqué durant cette rencontre. En outre, la mésentente entre Franck Biya et Nathalie Moudiki est notoire à Yaoundé.
D’autres intérêts que ceux de la SNH ont-ils joué ? Une source tchadienne proche du dossier affirme que Franck Hertz, fil de Chantal Biya issu du premier mariage de cette dernière – et ancien cadre de la SNH –, figure parmi les actionnaires de Savannah Energy. Cette dernière a toutefois démenti auprès de Jeune Afrique cette information, affirmant que la totalité de son actionnariat était publique.
La direction de Savannah Energy voit la main de Perenco derrière l’opposition du Tchad à ses accords avec ExxonMobil puis la SNH. La société franco-britannique, agacée de s’être fait supplanter dans le dossier, chercherait, selon la même source interne, à torpiller la concurrence afin de revenir dans le jeu pétrolier tchado-camerounais.