Pour sortir d’une dépendance à l’or noir qui lui avait permis d’afficher une croissance à deux chiffres pendant près d’une décennie, le Tchad s’est engagé dans la diversification tous azimuts de son économie. La croissance est de retour dans ce pays en pleine transition politique qui consacre, à ce jour, près de 25 % de son budget à la sécurité nationale. Entretien avec Tahir Hamdi Nguilin, ministre des Finances et du Budget du Tchad.
Avec l’augmentation des cours du pétrole, des investissements publics et la reprise du commerce international, la Banque mondiale prévoit une croissance soutenue au Tchad. En chiffres, quelles sont vos prospectives pour 2023 ?
« Tahir Hamdi Nguilin : Nos derniers chiffres nous donnent une prévision de 5,1 % de croissance pour 2023 et des recettes budgétaires en hausse de 40 %, pour passer à 1 800 milliards de francs CFA, du fait de la hausse des recettes internes, induites par la digitalisation généralisée de nos services. La charpente du système de gestion des finances publiques est achevée. Les systèmes relatifs aux impôts, à la douane ou au foncier sont en cours de finalisation ou déjà lancés. D’ici la fin de l’année, nous interconnecterons l’ensemble de nos régies.
Par ailleurs, nous avons avancé en matière de télédéclaration, de télétravail. Nous avons aussi baissé les coûts d’accès à Internet et nous disposons désormais de la fibre optique (…) L’augmentation des cours du pétrole a, bien sûr, favorisé le retour de la croissance et la situation de nos réserves extérieures s’est nettement améliorée. »
Début 2021, le Tchad demandait la restructuration de sa dette qui s’élevait à 2,7 milliards de dollars en 2019 selon le FMI. Quelle est la situation actuelle ?
Nous avons déployé de grands moyens pour sortir de l’ornière. Cela s’est naturellement répercuté sur la qualité du climat des affaires. Nous bénéficions du soutien du FMI (le 10 décembre 2021, le FMI approuvait un nouveau programme de facilité élargie de crédit de 3 ans d’un montant de 392,6 M DTS, soit environ 486 millions d’euros; ndlr). Au terme de 2 ans de négociation, nous sommes parvenus au rééchelonnement de notre dette jusqu’à 2024, qui s’élève à moins de 2 000 milliards de francs CFA aujourd’hui. Dans le cadre commun, le Tchad est le premier pays à avoir renégocié la restructuration de sa dette avec ses partenaires bilatéraux, multilatéraux et ses créanciers privés, en acceptation du FMI (le 9 janvier 2023, un accord a été conclu entre le Tchad et ses créanciers au titre du Cadre commun, ndlr). Aujourd’hui, l’amélioration globale de nos états financiers nous ouvre sur des possibilités de nouveaux prêts concessionnels ou semi concessionnels, pour soutenir notre croissance.
Précisément, quels sont les leviers qui tirent aujourd’hui la croissance du Tchad ?
L’agriculture représente la première richesse nationale et emploie l’essentiel de la population active (soit environ 80 % de la population selon l’ONU, ndlr) (…) Le Tchad est le 2e producteur mondial de gomme arabique (3e produit d’exportation national hors pétrole, ndlr) et le 5e producteur africain d’arachides. Nous exploitons également du karité, du sésame et même du safran. Par ailleurs, nous disposons de 39 millions d’hectares de terres arables, dont environ 300.000 hectares de polders qui comptent parmi les plus riches au monde et qui peuvent supporter trois cultures par an. Nous faisons aujourd’hui de la structuration des chaînes de valeur dans le secteur de l’agriculture et dans l’élevage, une priorité nationale.
L’économie du Tchad est également soutenue par l’or noir. Depuis son exploitation en 2003, le pétrole a permis une croissance à deux chiffres jusqu’à la chute des cours du pétrole, et représente toujours près de 20 % du PIB…
Effectivement, le pétrole contribue à près du quart de notre PIB. Cela étant, nous sommes résolument engagés sur la voie de la diversification de notre économie d’une part, et sur la voie de la transition énergétique, d’autre part. Nous avons d’ailleurs développé de nombreux projets d’énergie verte pour renforcer le mix énergétique. Plusieurs mesures ont été adoptées dans le cadre d’un véritable « big bang fiscal » avec des exonérations sur des prêts, sur la TVA et sur les droits de douane, pour renforcer l’attractivité des EnR et en particulier du solaire, dans notre pays.
Comment le Tchad qui avait déclaré une « urgence alimentaire et nutritionnelle » en juin 2022 supporte-t-il l’arrivée de nouveaux migrants venus notamment du Soudan, qui viennent s’ajouter au demi-million de réfugiés déjà présents ?
Les réfugiés sont essentiellement localisés aux frontières de la Centrafrique, du Cameroun, du Nigéria et du Soudan. Il y a 48 heures à peine (entretien réalisé le 18 avril à Paris, ndlr), le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont tiré la sonnette d’alarme pour interpeller la communauté internationale sur la situation humanitaire au Soudan (depuis que la lutte de pouvoir entre deux généraux s’est transformée en bataille rangée le 15 avril dernier, l’ONU estime qu’entre 10 000 et 20 000 Soudanais se seraient déjà réfugiés au Tchad voisin, ndlr).
Le Tchad est par nombre d’habitants l’un des pays qui reçoit le plus de réfugiés sur le continent (en 2022, le pays accueillait environ 577.000 réfugiés, soit plus que tout autre pays d’Afrique occidentale et centrale, selon le HCR. Nous comptons sur la croissance et sur les actions conduites par le gouvernement pour enrayer le cycle de l’extrême pauvreté dans notre pays, avec le soutien de tous nos partenaires. Cela étant, à ce jour, personne ne meure de faim au Tchad, pas plus les Tchadiens que les réfugiés.
Après une contraction en 2021, l’économie s’est redressée en 2022. Cette reprise a a été tirée par les prix du pétrole en raison de la guerre en Ukraine. Concrètement quelles sont les conséquences de ce conflit pour le Tchad ?
Sur le plan alimentaire, nous sommes pratiquement autosuffisants et n’avons pas été très impactés par la flambée des cours du blé, suite à la guerre en Ukraine, car notre pays en consomme peu. L’essentiel de notre consommation repose sur les productions locales comme le mil ou le maïs. L’inflation est contenue comparativement à la pression qui s’exerce sur les prix dans certains pays du monde. Ensuite, à toute chose malheur est bon… Ce qu’il faut aussi retenir dans cette conjoncture mondiale incertaine, c’est que l’Europe, qui s’est longtemps tournée vers les pays de l’Est, mais aussi vers l’Amérique du Sud et vers l’Asie, s’est rappelé sa proximité géographique, historique, mais aussi linguistique avec l’Afrique. L’Histoire a montré que les destins de nos deux continents étaient liés.
Quels sont les projets de diversification engagés au Tchad pour soutenir la croissance ?
Le gouvernement, en partenariat avec le groupe ARISE, a décidé d’investir dans des zones économiques spéciales. Elles seront dédiées au développement des chaînes de valeur du bétail et de la viande (tanneries, abattoirs, usines d’alimentation) et devraient générer plusieurs dizaines de milliers d’emplois. Le projet se développe en ce moment, sur le site de Mondou. En 2018, le cheptel tchadien représentait environ 94 millions d’unités de bétail et près de 35 millions de têtes de volaille, selon le recensement général de l’élevage du Tchad (…) Parallèlement, nous conduisons un certain nombre d’études dans le secteur des mines qui représente un pôle de croissance en mesure de transformer l’économie du Tchad dans son ensemble. Actuellement, nos ressources minières, notamment l’or, sont essentiellement exploitées de façon artisanale.
Le Tchad fait figure d’acteur majeur dans la lutte contre le terrorisme. Quelle est la part de la sécurité dans le budget national ?
Le coût de la sécurité représente en moyenne 25 % du budget de l’État, soit environ 400 milliards de francs CFA, par an. Il s’agit d’un budget significatif pour notre pays, mais qui est nécessaire dans le contexte actuel. C’est à ce prix que nous assurons la sécurité à l’intérieur de nos frontières.
Comment la situation politique pèse – t – elle sur le climat des affaires, eu égard à l’opposition tchadienne face à la transition politique (la manifestation du 20 octobre avait fait 128 morts, selon la Commission nationale des droits de l’Homme) ?
Nous pouvons dire que la situation politique est apaisée. Les oppositions se retrouvent surtout sur Internet. La réalité est bien différente de ce que l’on peut lire sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, quels que soient les événements politiques passés et leurs impacts, ils n’ont pas été de nature à bouleverser l’économie nationale.